HOPE Anna - Le chagrin des vivants

Evelyn, Hettie et Ada, trois héroïnes inoubliables, trois nuances du chagrin provoqué par la 1ère Guerre Mondiale. Le roman commence à Londres en 1920, quelques jours avant le rapatriement du Soldat inconnu.

Evelyn est l'écorchée vive d'une famille bourgeoise où seule compte la bienséance et où l'on fait peu de cas des émotions. Enragée par la perte de son fiancé, elle s'engage corps et âme dans les usines d'armement au mépris total de sa santé puis au bureau de pension des armées, recevant les soldats revenus du front avec d'atroces séquelles psychologiques et physiques. Rongée par l'amertume et la colère, elle s'isole peu à peu, renoncant à l'amour.

Hettie est danseuse au Hammersmith Palais. La guerre n'a pas épargné sa famille. Avec un père mort au front et un frère qui en est revenu mutique et complètement inerte, seul son salaire leur permet de survivre. Exaspérée par cette existence triste et terne, elle a une furieuse envie de vivre. Danser au son nouveau du jazz, se faire couper les cheveux à la garçonne et surtout, trouver un homme qui l'extirpera de toute cette morosité ambiante. « La guerre est terminée, pourquoi ne peuvent-ils donc pas passer à autre chose, bon sang ? »

Quant à Ada, obnubilée par la disparition de son fils, elle porte sa tristesse comme un fardeau quotidien. Comment son fils est-il mort exactement? Est-il vraiment mort d'ailleurs? Elle croit le voir partout, dans un jeune homme qui joue au foot, dans un soldat revenu du front.

Le roman d'Anna Hope met définitivement les femmes à l'honneur : seules avec leur tristesse et leur rage, chacune tente à sa manière de continuer à vivre tant bien que mal. Les hommes, pour ceux qui reviennent, s'échouent dans l'alcool, sont victimes de crises de nerfs ou sombrent dans une profonde apathie qui les empêche de se réinsérer dans la société. C'est désormais aux femmes de travailler, d'endurer seules leur chagrin, d'assurer le quotidien. 

Anna Hope livre une vision poignante de la guerre, celle des femmes. Le portrait des héroïnes est si bien dressé qu'on a l'impression de les connaître, qu'on voudrait les voir s'en sortir, elles le méritent tellement ! Leurs destins se croisent, la trame romanesque est très bien menée. L'écriture est superbe, poignante, révoltée, tant dans la psychologie des personnages que dans la description de l'Angleterre à genoux après la guerre. 

Livre lu dans le cadre du grand Prix des Lectrices Elle (numéro d'octobre 2016). Note : 15/20